« Il n’y a pas d’amour heureux » (Aragon, 1944).
Scène de la vie conjugale (1973 – 2022) dépeint l’amour comme un sentiment lourd et pesant qui tourmente celles et ceux qui osent le ressentir. Dans la version originale (1973), Ingmar Bergman (1973) brosse le portrait de l’amour agité, pathologique, douloureux, mais au fond vivant et humain (Bidaud, 2015).
Le pessimisme bergmanien quant à l’amour (Bidaud, 2015) est une narrative d’une profondeur telle qu’elle a su s’exporter avec brio dans les adaptations contemporaines signées Hagai Levi (Scenes From a Marriage -HBO 2021) et Aziz Ansari et Lena Waithe (Master of None Presents : Moments in Love – Netflix 2021).
Proposant des configurations de l’intimité plus modernes (inversion des rôles genrés et couple queer) ces adaptions conjuguent l’amour à différents temps, tout en gardant l’essence même de son caractère complexe, qui fait vaciller les couples entre conventionnalité des rôles et désir d’authenticité.
Dans les trois séries, la dissolution du mariage jette la lumière sur le caractère singulier et ambigu des relations humaines au sein de l’intimité qui semble chercher un équilibre entre désir d’amour et besoin de passion. Cette dichotomie est le point d’ancrage de plusieurs écarts émotionnels qui vont diviser les partenaires et favoriser l’échec de leur amour – ou du moins celui de leur couple.
La dissonance du langage amoureux et l’incommunicabilité émotionnelle représentent les exemples parfaits de la dangerosité de l’omniprésence d’un sentiment aussi pur que l’amour, chez des partenaires qui sont émotionnellement analphabètes.
Comment aimer lorsqu’on ne parle pas le même langage amoureux ?
Scenes from a Marriage (SVT 1973)
Détachement
Scènes de la vie conjugale, créée par Ingmar Bergman en 1973 se construit suivant une circularité. En effet, la fin du couple amorce la série, mais le fossé qui s’est créé au fil des années entre les deux amoureux finit par se remplir une fois que l’absence s’est manifestée. Marianne et Johan sont deux pôles opposés, lorsque trop éloignés, ils ne ressentent plus et leur besoin de se retrouver est instinctif. Le détachement est conçu comme étant une forme d’étape processuelle dans le couple, un passage obligé pour mieux se retrouver. Les moments de violence accompagnés par un moment d’amour intense soulignent cette idée du détachement comme moyen permettant l’amplification des sentiments. Ingmar Bergman, véritable architecte de la mise en scène, cadre ses deux personnages principaux en fonction de leur cheminement de séparation. Les premiers épisodes montrent Marianne et Johan amoureux et encore dans leur idylle, ils sont par conséquent, cadrés de manière rapprochée. Le cadre hermétique agit à titre de prison tout comme le fait leur pression respective de préserver leur relation. La caméra s’éloigne progressivement après que leur relation éclate et cadre l’homme et la femme dans l’espace architectural qui les engloutit, tantôt le bureau de Johan, tantôt la maison de Marianne, les cadres de portes sont de véritables frontières entre la bulle d’amour et la dure réalité de leur condition. Le détachement est donc intimement lié à l’espace.
Passion
Scènes de la vie conjugale, créée par Ingmar Bergman en 1973 se construit suivant une circularité. En effet, la fin du couple amorce la série, mais le fossé qui s’est créé au fil des années entre les deux amoureux finit par se remplir une fois que l’absence s’est manifestée. Marianne et Johan sont deux pôles opposés, lorsque trop éloignés, ils ne ressentent plus et leur besoin de se retrouver est instinctif. Le détachement est conçu comme étant une forme d’étape processuelle dans le couple, un passage obligé pour mieux se retrouver. Les moments de violence accompagnés par un moment d’amour intense soulignent cette idée du détachement comme moyen permettant l’amplification des sentiments. Ingmar Bergman, véritable architecte de la mise en scène, cadre ses deux personnages principaux en fonction de leur cheminement de séparation. Les premiers épisodes montrent Marianne et Johan amoureux et encore dans leur idylle, ils sont par conséquent, cadrés de manière rapprochée. Le cadre hermétique agit à titre de prison tout comme le fait leur pression respective de préserver leur relation. La caméra s’éloigne progressivement après que leur relation éclate et cadre l’homme et la femme dans l’espace architectural qui les engloutit, tantôt le bureau de Johan, tantôt la maison de Marianne, les cadres de portes sont de véritables frontières entre la bulle d’amour et la dure réalité de leur condition. Le détachement est donc intimement lié à l’espace.
Routine
Scènes de la vie conjugale, créée par Ingmar Bergman en 1973, dévoile le processus psychologique du deuil amoureux, ainsi que le processus de rémission, suite à la mort d’une relation. La routine, ici grandement représentée dans chacun des épisodes, est associée à la répétition de gestes et mouvements récurrents. Marianne qui dresse la table, qui fait le repas ou bien qui amène la nourriture sur la table en est des exemples. La routine se manifeste également dans les gestes de Johan, notamment ses actions de s’habiller pour sortir et se déshabiller avant de dormir. Les gestes répétitifs qui sont filmés dans leur durée représentative renforcent l’aspect contemplatif et voyeuriste, mais illustrent également la désillusion des personnages face aux événements du quotidien. La monotonie et la simplicité de ces actions réitèrent la tristesse et le malheur des deux protagonistes. La routine comme forme d’aliénation témoigne que l’action d’aimer est désormais un mécanisme et non une expression de soi.
Scenes from a Marriage (HBO 2021)
Détachement
La mélodie de Jean-Michel Blais intitulée « La chute » (2023) parcourt cette vidéo qui présente les moments de détachements des protagonistes de la série télévisée Scenes From a Marriage (HB0, 2022).
Ces moments de détachements parcourant la série sont découpés, dans le montage, par l’une des séquences qui selon mes observations sont l’un des plus importants dans la fiction. Le choix de la pièce musicale est que celle-ci est représentative de ce qui se produit entre les deux personnages ; ils se détachent l’un de l’autre en fuyant le regard, en s’éloignant l’un de l’autre physiquement dans les pièces de la maison, etc.
Un essai vidéo de Meganne Rodriguez-Caouette.
Passion
Routine
Un essai vidéo de Meganne Rodriguez-Caouette.
Master of None Presents: Moments in Love (Netflix 2021)
Dans le travail d’Ansari et Waithe, l’espace de la maison émerge à la fois comme un nid d’amour soigné et comme un piège, symbolisant le poids du couple, ici une structure qui étouffe les élans individuels des partenaires. Au contraire, les plans qui nous montrent les retrouvailles, en cachette, du couple, sont plus ouvert vers un avenir, quoique celui-ci soit tourné vers l’arrière. La voiture tourne vers la gauche, comme chez Bergman, comme chez Levi, à l’envers du sens attendu de l’avancement linéaire vers la droite, contre le sens de lecture attendu, normé. Un pied de nez à l’idée de couple comme système, le plaisir et le désir se retrouvant, tels des revenants, là où le chemin linéaire ne peut pas le conduire.